Contenu au stade expérimental et en cours de rédaction.
Il y a un puzzle pour lequel lorsque les pièces sont dûment associées révèlent l'image, et la logique, d'une économie alternative, symbiotique et régénératrice. De l'agroécologie et de la permaculture, de l'ingénierie écologique jusqu'à la construction d'une gouvernance horizontale, conforme au principe de subsidiarité, en passant par l'économie circulaire, la fabrication de biens modulaires, l'économie de fonctionnalité privilégiant l'usage et la mutualisation des biens à leur appropriation, l'augmentation de nos capacités de calcul par la mise en réseau décentralisé de nos machins existante, etc... on voit alors une nouvelle logique, sociale et économique, qui se profile.
L'économie symbiotique est une économie régénératrice de ses ressources. Plus l'homme produit selon ses principes dans le vivant, la technologie et la sphère sociale, plus il est capable de régénérer ses ressources et d'arriver probablement à un point non seulement où il devient cocréateur des équilibres planétaires au lieu d'en être le fossoyeur, mais où il parvient également à créer plus de ressources qu'il n'en consomme.
Pour comprendre l'origine de cette performance, un petit tour par la théorie thermodynamique est indispensable. Dans tout système physique, la production d'un travail utile est liée à la présence d'une source d'alimentation en énergie, de matière et d'information. Lorsque les trois sont réunies, la matière se met en mouvement et produit un travail utile, quel qu'il soit. Que l'une de ces trois entités disparaisse, le mouvement ordonné s'arrête et cette création devient impossible. Comprendre cela a de grandes conséquences sur notre vision des ressources terrestres : si la matière est en quantité finie sur Terre, l'information, elle, est en quantité infinie. Elle croit à mesure que le vivant se diversifie et se complexifie. Elle croit à mesure que l'intelligence collective humaine se développe dans le temps et dans l'espace. L'homo sapiens d'aujourd'hui n'a aucune différence génétique avec celui d'il y a deux cent mille ans, mais il n'est pas le même: il est né avec un héritage culturel et cognitif issu de son histoire, porté par la société et sa culture. Avec le développement des communications en temps réel, il bénéficie avec une ampleur nouvelle de l'intelligence et des connaissances de ses contemporains. Chaque société, chaque individu, chaque espèce, chaque écosystème est ainsi porteur d'un ensemble d’informations qui lui est spécifique. De plus l'information est une ressource étonnante. Contrairement à la matière et à l'énergie, plus elle se partage, plus elle se multiplie. Si j'ai une pomme et que je vous la donne, je perds ma pomme. Si j'ai une idée et que je vous la donne, je ne la perds pas, je la multiplie.
Notre intelligence est d'ordre conceptuel : nous savons comprendre, théoriser, organise. Notre puissance de production d'informations est gigantesque. Tant que nous l'utilisons à détruire l'information existant autour de nous ou à l'exclure de nos propres systèmes, notre efficience reste limitée. La somme des informations que nous produisons ne compense pas celle que nous détruisons. Car elles ne sont pas de la même nature. Le vivant a développé ne intelligence de synthèse et de production d'équilibres qui nous dépasse ; l'humain, une puissance de conception et d'organisation qui est inaccessible au reste du vivant. Ce qu'inventent les nouvelles formes de production symbiotique, c'est un déplacement de l'utilisation de notre intelligence : elles cherchent à maximiser l'expression de celle du vivant en comprenant les synergies à l'œuvre et en cherchant systématiquement à les favoriser.
L'intelligence humaine devient catalysatrice. En agissant comme un catalyseur des écosystèmes vivants, l'espèce humaine devient un facteur multipliant leur efficience naturelle. Dans ce système hyperproductif, l'homme se garde bien de modifier les espèces dont il sait que leur compréhension fine le dépasse, il les relie. Ce faisant, il obtient une productivité supérieure à celle des systèmes anthropiques seuls et à celle des systèmes naturels seuls.
Alors d'où vient l'efficacité grandissante des écosystèmes à produire de multiples services à mesure de leur montée en maturité ? Elle vient de leur capacité à tisser des réseaux et à partager l'information.[2] De jeunes écosystèmes produisent peu de services : ils sont occupés à bâtir leurs structures. Ils créent alors beaucoup de biomasses et tissent peu de réseaux. Puis, lorsque leurs structures deviennent plus matures, les réseaux s'enrichissent : leurs racines se connectent via un immense et dense lacis d'information micellaire, qui fait du sol une forme de gigantesque tissu invisible. Y circulent les informations, les nutriments, les signaux chimiques et même nerveux. Sur le plan aérien, les signaux chimiques et même nerveux s'échangent aussi : feuilles, fruits, fleurs, tout y participe. Dans ces structures plus matures, la faune vient s'installer. Elle apporte la locomotion que le végétal n'a pas, et contribue à l'enrichissement du réseau. Les pollens, les graines, les nutriments voyagent à travers elle et connectent les écosystèmes jusqu'à au niveau planétaire. Les informations circulent, extrêmement abondantes. Les écosystèmes trouvent alors leur meilleure capacité à s'adapter au changement, à résoudre leurs problèmes en augmentant les échanges d'informations.[3] C'est à ce troisième stade que leur niveau de services est le plus élevé. Notre histoire n'y ressemble-t-elle pas ? Ces quarante dernières années, nous avons, comme les écosystèmes en phase 2 de leur montée en service, tissé nos réseaux. 47% de la population mondiale est désormais connectée à Internet.[4] La montée de l'intelligence et de l'information partagée nous amène à ce que l'on pourrait considérer, par analogie avec les écosystèmes vivant, comme notre phase 3. Nous vivons l'instant où le niveau de destruction des écosystèmes menace la perpétuation de nos conditions de vie en même temps que nous accédons à un stade de structuration en écosystème dans son plein niveau possible d'efficience. Nous devenons nous-mêmes ce que nous avons détruit au moment précis où ce que nous avons détruit menace de nous détruire.
« Symbiose » : Ce joli mot inventé à la fin du XIXe siècle signifie "vivre ensemble". Il décrit l'association étroite et pérenne de deux organismes différents, qui trouvent dans leurs différences leurs complémentarités. La croissance de l'un permet la croissance de l'autre et réciproquement. La symbiose fut longtemps ignorée face au rôle de la compétition, mise en avant comme moteur de l'évolution par Charles Darwin, mais de nombreux travaux démontre maintenant que la symbiose en particulier et les mécanismes coopératifs en général agissent également comme un des moteurs principaux de l'évolution. C'est même très loin d'être une exception, car la symbiose est un phénomène général et chaque espèce est le symbiote d'au moins une autre.[5] À son origine, le terme "symbiose" désignait d'abord une relation intime entre deux organismes s'apportant des bénéfices réciproques ou au contraire vivants l'un aux dépens de l'autre. Elle incluait donc aussi le mutualisme et le parasitisme. À mesure son sens s'est affiné et, même s'il existe encore plusieurs définitions, il est de plus en plus réservé aux relations à bénéfices réciproques entre deux ou plusieurs organismes qui se lier de façon pérenne. La symbiose est énergétiquement plus efficace que le mutualisme, relation dans laquelle les partenaires doivent dépenser l'énergie du déplacement pour profiter des avantages mutuels de leur association. Et elle se distingue du parasitisme par l'équilibre entre les bénéficies mutuels et les impacts entre les espèces associées. Ainsi la limite est fine entre parasitisme et symbiose. Aujourd'hui, nous avons une relation parasitique avec la Terre.
L'ingénierie techno-scientifique humaine est plus qu'archaïque par rapport à la capacité d'ingénierie du vivant. Le calculateur quantique, qui sera peut-être en mesure de produire des millions de milliards de caractères en mémoire, c'est-à-dire l'estimation actuelle du cerveau humain, demandera 1 mégawatt de puissant électrique alors que le cerveau fonctionne avec 20 watts.
Ainsi l'une des pistes pour être plus efficient est de s'inspirer du vivant, c'est ce que l'on appel le biomimétisme. Le vivant a une dernière et extraordinaire richesse : il a dû s'adapter à de multiples conditions pour perdurer sur Terre. "Vous avez une question ? Posez-la à la nature" dit Janine Benyus, théoricienne du biomimétisme, c'est-à-dire de la capacité à s'inspirer des écosystèmes vivants pour renouveler nos techniques industrielles et d'organisation sociale. Le vivant a développé des réponses au croisement de l’efficience et de la résilience. Sans autre solvant que l'eau, à partir de l'énergie du Soleil et à température ambiante, les systèmes vivants ont adopté des formes et des organisations d'une grande intelligence. Par exemple :
Néanmoins, on peut imiter le vivant en utilisant des matériaux polluants. On peut aussi ne voir dans le vivant qu'un réservoir d'innovation pour notre technologie, sans faire pousser le moindre brin d'herbe. Aussi le vivant ne doit-il pas seulement être considéré comme une nouvelle boutique pour l'innovation, mais comme un acteur à part entière, qu'il intégrer à notre économie pour bénéficier de l'ensemble de ses services.
Voici ici 6 principes pour comprendre plus finement les mécanismes d'un mode de production symbiotique. On peut distinguer 3 principes constructeurs et trois principes régulateurs.
Principes constructeurs :
Pour maintenir ces écosystèmes en place, interviennent trois principes régulateurs:
Quelle que soit la nature des ressources mises en jeu, les six principes symbiotiques s'y expriment de la même façon et les fonctions apportées sont constamment identiques.
Associés, ces principes construisent des écosystèmes. Grâce à ces écosystèmes, les systèmes deviennent alors capables de générer de nouvelles ressources et de régénérer tout ou partie de celles qui étaient présentes initialement. Dès que la photosynthèse est présente, ils produisent en abondances fonctions, matière, énergie utile, information. Dès que l'humain est présent, ils génèrent pléthore d'informations. Lorsqu'il s'agit d'activités industrielles, leur agencement en écosystème permet de renouveler une grande partie de leur matière. Ils recherchent l'efficience maximale de l'utilisation de leurs ressources et c'est le moteur de leur rentabilité. Elle se situe au croisement entre le cout de l'organisation et le cout des matières premières. Que les ressources soient vivantes, humaines ou industrielles, ce principe va réguler la diversité, qui peut être facteur de désordre, et la teille des territoires de flux, qui peuvent être facteurs de dispersion. Un groupe humain va ainsi perdre en efficience au-delà de cent cinquante personnes; Un écosystème industriel va perdre en rentabilité au-delà d'une certaine taille, le cout du transport des matières annulant les bénéfices liés à leur réutilisation. Enfin ils réinscrivent les activités humaines sans les grands équilibres planétaires, physiques, physiologiques et problèmes psychologiques. Ils maintiennent ainsi les conditions de régénération de leurs ressources.
Ainsi il s'agit de nous transformer un catalyseur et non en déstructeur : nous ne modifions pas, nous rapprochons, nous assemblons ce qui sans nous aurait mis un temps infini à se lier. Et ce faisant, nous multiplions une productivité intrinsèque au vivant sans pourtant nous désynchroniser de ses rythmes.
Les systèmes économiques et productifs de type symbiotique progressent vers l'autonomie grâce à la diversité de leurs ressources. Leur puissance vient de leur capacité à organiser des territoires communs de flux matériels et immatériels où les ressources circulent de façon fluide, sans entrave ni discrimination. Ils sont fondés sur la coopération libre, avec au plus un intermédiaire et le plus souvent sans. C'est le moteur de leur efficience. Les différents éléments vont pouvoir s'exprimer dans leur pleine multifonctionnalité. Un individu y révélera toutes ses facettes, techniques, émotionnelles, aspirationnelles ; une espèce, l'ensemble de ses qualités, pour fournir des nutriments, éloigner tel parasite, ameublir la terre, la retenir, offrir ombrage, humidité... ; une activité industrielle, ses qualités pour fournir de l'énergie utile, mais aussi des sous-produits utilisables par une autre.
Les synergies produites sont multiples, car des écosystèmes vivants pleinement épanouis sont multifonctionnels : ils produisent fonction, matériaux, molécules. Ils créent des paysages et influent profondément sur le bien-être psychique et physiologique humain. De nombreuses études montrent désormais cette relation bénéfique. Le contact avec des écosystèmes vivants, ne serait-ce que par la vue, diminue le stress, la violence domestique et urbaine, favorise la rémission des maladies, améliore la santé mentale et physique, et favorise le lien social. En économie, ces plus-values sont appelées des externalités positives. Elles sont les produits qu'un acteur économique génère par son activité sans que ce soit le but initial, comme nous l'avons vu. Dans son évolution au cours du temps, le système s'enrichit de ces nouvelles ressources. Notre économie actuelle génère au contraire de nombreuses externalités négatives. Elles engendrent des coûts pour la société et la biosphère qu'on cherche à évaluer, le plus souvent monétairement, pour les compenser. C'est ce renversement des externalités que produit une économie symbiotique : il ne s'agit plus de chercher à compenser, mais à valoriser. La dynamique économique et sociale devient alors tout autre. Elle appelle les coopérations entre les acteurs, producteur et bénéficiaires pour valoriser au mieux les externalités positives produites par les uns et les autres.
En cours de rédaction...
Extrait d'Isbaelle Delannoy dans "L'économie symbiotique : Régénérer la planète, l'économie et la société. 2017 ↩︎
Sven E. Jorgensenet al., "Recent Progress in Systems Ecology", Ecol. Model., 2015 ↩︎
Jean-Francois Vincent, Olga A. Bogatyreva et Nikolay R. Bogatyrev, "Biomimetics : its Practice and Theory", J. R. Soc. Interface, 3, 2006, p. 471-482 ↩︎
Union internationale des communications. ICT Facts Figures 2016. ↩︎
Lynn Margulis, Origin of Eukaryotic Cells, Yale University Press, New Haven, 1970 ; Lynn Margulis et René Fester, Symbiosis as a Source of Evolutionary Innovation : Speciation and morphogenesis, The MITPress, Cambridge, 1991 ↩︎